De l'humanisme à l'homanisme

7 - Transhumanisme ou homanisme ?

La dernière question posée à l'homme sera peut-être celle de sa dissolution dans l’hypertexte. Nous ne parlons ici, bien sûr, que de l'homme réduit à son esprit/sa psyché/sa raison, mais il nous semble qu'une telle réduction peut être justifiée par le fait que si les deux constituants -corps et esprit- sont nécessaires pour définir un homme, l'esprit semble le définir plus essentiellement encore que le corps. Qu'on songe pour s'en convaincre que la plupart des gens s'accorderaient sans doute sur l'idée qu'un homme amputé d'un bras ne change pas foncièrement de nature, contrairement à celui privé d'une partie de son intelligence, de sa sensibilité ou même seulement de sa mémoire.

A la croisée des chemins

L'évolution de l'homme n'est pas nécessairement terminée. Certes, la pensée eugéniste, qui vise une modification volontaire et maîtrisée de l'espèce humaine s'est trouvée largement discréditée au cours du XXème Siècle. L'épisode Nazi, qui exalta la dimension physique de l'homme au travers de la figure de l'aryen, comme l'illustrent les films de Leni Riefenstahl ⇓, et envisagea son amélioration sélective (expériences du docteur Mengele), mit un terme durable aux projets avoués d'amendement biologique de l'espèce humaine. Du fait de ce discrédit, on oublie souvent aujourd'hui que la tentation eugéniste fut pourtant très en vogue dans les milieux progressistes jusqu'aux années 1920, dans une logique prolongeant celles de la revolution industrielle et du scientisme. On en trouve quelques indices probants dans certains textes ambivalents d'Aldous Huxley, textes qui ne peuvent être compris tout à fait qu'à la lumière des travaux de son frère Julian, lui-même eugéniste enthousiaste et prosélyte. Ultérieurement refoulée du fait des risques de récupérations ou dérives racialistes, cette pensée eugéniste refait aujourd'hui son apparition sur un mode plus individuel et plus médicalisé, par exemple au travers de l'ensemble des techniques d'assistance à la procréation et à la prévention des maladies génétiques.

Plus généralement, et indépendamment de son seul aspect biologique, la question de l'évolution de l'homme se pose aujourd'hui principalement dans un cadre surdéterminé par deux variables exogènes: la démographie et la technique.

La démographie, d'abord, pose des problèmes aussi difficiles à résoudre qu'ils sont simples à formuler: à partir d'une certaine quantité de population, les droits de l'homme deviennent une pure vue de l'esprit car la raréfaction des ressources et le creusement des inégalités font que ceux-ci deviennent pratiquement inapplicables. Quel sens peuvent par exemple revêtir les notions occidentales de "droit au logement", de "droit au travail" ou de simple "droit à la sécurité" dans des pays du tiers-monde où le taux de fécondité est encore supérieur à 4 enfants par femme (soit une multiplication de la population par dix en trois à quatre générations, le temps d'une vie humaine, situation instable par excellence pour ne pas dire explosive), sauf à compter sur des phases brutales de surmortalité liées à la famine, aux épidémies ou à la guerre? Les risques d'invasion migratoire ne peuvent plus relever du simple fantasme lorsqu'on considère que la seule population de l'Afrique pourrait dépasser d'un facteur dix celle de l'Europe d'ici la fin du siècle, alors même que de fortes tensions liées à l'immigration clandestine (intra- et extra-Africaine) se font déjà sentir dans le contexte d'une pression encore 4 à 5 fois moins intense, et que dans la liste des neuf pays qui contribueront le plus à l'accroissement démographique mondial à échéance de 2050 (Inde, Pakistan, Nigeria, Congo, Bangladesh, Ouganda, Etats-Unis, Ethiopie, et Chine), on trouve une majorité de pays pauvres. On peut toujours espérer qu'adviendra dans les pays concernés (principalement en Afrique noire, en Asie centrale et au Proche-Orient) une transition démographique analogue à celles qu'ont connues l'Europe ou l'Asie, mais les conditions économiques et culturelles ne sont guère comparables (fin de la croissance économique, faible utilité de la main d'oeuvre, tensions religieuses), et lorsqu'on étudie les statistiques mondiales disponibles sur le sujet, ce qui frappe est surtout la révision à la hausse des estimations de populations passées (en d'autres termes, la sous-estimation chronique du problème par ses prétendus experts), la stabilisation du taux d'accroissement naturel à un niveau à la fois inattendu et nettement supérieur à celui qui permettrait d'amorcer un reflux démographique, et le fait que les rares épisodes d'inflexion nette des courbes démographiques sont toujours liés à des guerres ou des famines. Alors qu'à peu près partout dans le monde, la jeunesse connaît des disparités grandissantes entre ses aspirations et ses conditions d'existence réelles, dans un contexte de raréfaction des ressources (épuisement des énergies fossiles, déforestation) et d'augmentation des inégalités, la population mondiale continue de s'accroître d'environ 80 millions d'individus chaque année (problème qui ne pourra être réglé, par définition, avant l'échéance de l'espérance de vie des individus en question), accroissement lui-même continument en accroissement ces dernières années, contrairement à ce qui avait été prévu... Pourtant, personne ou presque ne pose la question éminemment politique de la maîtrise de cette démographie qui, livrée à elle-même ou à la seule volonté des individus, risque de conduire, via des comportements d'accaparement des ressources analogues à ceux observés dans les cas de tragédie des biens communs, à une destruction de l'homme par l'homme, autrement dit à une négation de l'humanisme au nom de l'humanisme.

Si l'espèce humaine devient trop nombreuse, elle mettra elle-même les conditions de sa survie en péril pour un simple problème, pourtant bien connu et documenté, de surpopulation. La capacité porteuse de la planète, bien que difficile à évaluer précisément, est vraisemblablement d'ores et déjà inférieure à la taille de la population mondiale actuelle, et les augmentations à venir vont donc agir dans le sens exactement inverse à ce que recommanderait le plus élémentaire bon sens. Dès lors, si l'on ne traite pas la question à la racine par la mise en place de programmes volontaristes de contrôle démographique, les seules solutions viendront, dans le long terme, d'une réduction brutale des populations par la violence (guerres de conquête, guerres civiles, émeutes, pandémies, famines), ou plus pacifiquement par la réduction de la plus grande partie des hommes à une simple fonction de consommation passive diamétralement opposée aux idéaux humanistes (hypothèse de la généralisation du tittytainment). On peut d'ailleurs observer, à l'appui de cette hypothèse, la captation toujours croissante de l'attention de l'homme occidental par des artefacts absolument secondaires (résultats sportifs, accidents aériens, buzz médiatiques en tout genre), traduisant une frivolité tout à fait surprenante à un moment où sa survie potentielle est en question. Le mot de Jacques Chirac "notre maison brûle et nous regardons ailleurs" est plus que jamais d'actualité, son champ d'application s'est même largement élargi, mais lui aussi a été noyé dans le flot du Gangnam style (vidéo la plus vue de l'histoire de Youtube) ou des clips d'Eminen et de Lady Gaga.

Voici donc le premier risque à affronter par une espèce humaine qui n'aura plus tard, en cas d'impuissance à assurer sa survie, qu'à s'en prendre à elle-même: celui de la réduction, qu'il s'agisse d'une réduction numérique plus ou moins volontaire (d'un planning familial à dimension mondiale à une succession de catastrophes ou d'affrontements provoquant cette réduction sans qu'elle ait été planifiée) ou d'une réduction comportementale à un état quasi-animal irresponsable et jouisseur, déjà bien anticipée par Gilles Châtelet dans son prophétique ouvrage "vivre et penser comme des porcs".

Toutefois, et malgré l'urgence de la question démographique, il existe un risque de bouleversement d'un ordre de grandeur encore supérieur: celui de l'émergence technologique (hypothèse de la Singularité comme conséquence de l'intelligence artificielle forte), qui menace en effet à court terme la totalité de l'humanité de disparition, ou au moins de mise à l'écart radicale de la gestion des affaires du mondes. Peut-être une telle hypothèse est-elle d'ailleurs déjà en train de se réaliser sous nos yeux sans que nous en ayons conscience, trop imprégnés que nous sommes des principes d'individuation et d'anthropocentrisme, et de ce fait incapables de concevoir une forme d'intelligence non locale et non humaine (selon un modèle d'aveuglement analogue à celui proposé par certains pour expliquer le paradoxe de Fermi, entre autres hypothèses plus ou moins vraisemblables). Pourtant, n'y a-t-il pas d'ores et déjà omniprésence, hyper-puissance et développement permanent des systèmes informatiques interconnectés sans lesquels les conditions de confort de l'humanité, et même ses conditions de survie, devraient être largement remises en question? Si le principe anthropique fort a longtemps constitué dans l'inconscient collectif, même de manière insue, une concession profonde à une forme de finalisme anthropocentré, il est peut-être temps de déplacer le principe téléologique sous-jacent de l'homme en tant qu'espèce fixe incarnée dans des individus certes socialisés mais cependant distincts les uns des autres, à certains de ce qui étaient ses attributs propres jusqu'à présent, mais qui se trouvent progressivement transférés à ce que Jean-Michel Truong nomme sans le définir tout à fait "le successeur": mémoire, connaissance, raisonnement logique, faculté de communication, sensibilité, et conscience.

Dans le contexte de cette double menace (démographique et technologique) sur l'humanité, nous pouvons alors distinguer trois voies caractéristiques d'évolution à venir, définissant le cadre des possibles dans lequel il est envisageable de déployer son action:

1 - La première hypothèse, excluant l'hypothèse singulariste et reposant sur la confiance dans des progrès techniques dont au moins une partie de l'humanité garderait le contrôle, est celle d'un humanisme généralisé et en quelque sorte triomphant, se traduisant par une domination accrue de l'homme sur le monde rendant inutile sa remise en question en tant que valeur centrale de la Création, et qui pourrait donc aussi tendre vers une forme de dégénérescence morale (la rendant compatible avec le maintien ou même la généralisation du tittytainment en tant qu'outil de contrôle social). Cette hypothèse se caractériserait par un progrès technique continu mis au bénéfice hédoniste de tous sans modifications notables des corps, sans remise en question des responsabilités de l'homme devant la création, sans questionnement sur l'équilibre des droits et des devoirs, sans efforts particuliers; une sorte de mondialisation heureuse, un rééquilibrage Nord-Sud incarné en de nombreux métissages, la création d’un homme « citoyen du monde » fier d'être ce qu'il est sans justification, bref une sorte de Meilleur des mondes apaisé permettant de gérer tranquillement l'excédent démographique humain en attendant sa réduction douce à très long terme. Un tel état, correspondant au rêve des mondialistes (relayé en France par les sociaux-libéraux au pouvoir depuis les années 1970), pourra être atteint si et seulement si les progrès techniques accompagnant la mondialisation politique sont à la fois suffisamment rapides pour permettre de résoudre certains problèmes fondamentaux (dans le domaine de l'énergie et de l'écologie en particulier), mais suffisamment lents pour interdire toute atteinte définitive à la prééminence de l'homme (dans le domaine des sciences cognitives, de l'automatisation et de la division du travail en particulier). Pour souhaitable qu'elle soit, cette hypothèse présente néanmoins un risque majeur qui tient au principe d'unification qui en constitue le coeur : si le projet échoue, il entraînera dans sa chute la totalité de l'humanité, ce qui constituerait un précédent historique puisque jusqu'à présent, au cours de l’histoire, la relative indépendance géographique et politique des groupes humains, si elle a constitué l’une des principales sources de violence (violence qui se serait peut-être exprimée de toute manière en d'autres circonstances) a aussi permis une extrême résilience d'homo sapiens aux désastres naturels, aux guerres et aux extinctions locales. A l'opposé, les postures localistes, voire ethno-différencialistes ne sont pas seulement des postures qu'on peut considérer comme souhaitables en tant que telles (parce qu'on jugerait que l'autonomie et la diversité sont par principe supérieures à l'interdépendance ou l'unité), mais aussi pour des raisons de sécurité voire d'optimisation des chances de survie de l'espèce.

2 - La seconde hypothèse est celle d'un transhumanisme assumé: il s'agit non seulement d'accepter, mais aussi de souhaiter et de travailler à la transformation physique et mentale de l’homme, ou plus précisément à sa « dénaturation » dans le double sens du terme (mais est-il possible de « dénaturer » ce qui se définit justement comme étant hors-nature ?) Aux possibilités mineures de la voie biologique ouvertes par la dissociation de la sexualité et de la reproduction, voire le clonage ou les greffes, y compris celles du cerveau, s'ajoutent désormais celles, plus radicales et donc moins facilement pensables, envisageables sur un plan cybernétique, soit une forme de symbiose du biologique et du numérique, louée par les uns comme Raymond Kurzweil et critiquée par les autres (représentants de la plupart des grandes religions, disciples de Jacques Ellul). Après l'exposé inaugural magistral du choix panthropique proposé aux hommes dans Demain les chiens, et plus tard réactivées par Michel Houellebecq dans Les particules élementaires, des pistes de réflexion critique intéressantes sont aujourd'hui proposées sous l'angle philosophique classique [de 26:05 à 27:40] par Rémi Brague ou sous un angle plus techno-économique [de 43:22 à 46:20 pour le lien interne, de 45:55 à 48:57 pour le lien externe] par Lucien Cerise. Encore ces réflexions ignorent-elles en général ce qui pourrait constituer le coeur de l'ultime blessure narcissique (psycho-affective voire plus directement sexuelle) de l'humanité, à savoir la réussite indiscutable par un programme informatique d'un test de Turing élargi, privant les hommes de l'exclusivité du langage avancé (hypothèse illustrée avec brio dans les films Her ou Ex machina ou la série télévisée Real Humans).

3 - La troisième voie est à la fois une voie intermédiaire et une voie conservatrice, qu'on pourrait même qualifier aujourd'hui de réactionnaire en ce qu'elle s'enracine dans la tradition classique et n'ambitionne rien d'autre que de développer un « mens sana in corpore sano » conforme à l'idéal de la Renaissance, renonçant en cela aux rêves démiurgiques des progressistes. Il s'agirait de limiter le perfectionnement de l'homme au programme à la fois ambitieux et modeste, mais toujours fondé sur le travail sur soi, qui a été envisagé dès le XVIème siècle par Rabelais dans la description de l'éducation de Gargantua, et qui pourrait être illustré par une stagnation de l'évolution des espèces au niveau de l'homme de Vitruve.

C'est une voie qu'on pourrait qualifier de "posthumaniste" (au sens de l'humanisme d'après la chute de l'ère moderne) si ce qualificatif n'était pas déjà utilisé ailleurs en des sens différents (qui recouvrent bien souvent la définition du transhumanisme, parfois sur un mode caricatural, et introduisent de ce fait une confusion conceptuelle nuisible au débat). On pourrait alors pencher pour d'autres adjectifs comme "méso-humaniste", "sous-humaniste", "hypo-humaniste" ou "infra-humaniste" (restaurant la notion de tempérance, de modération, voire d'humilité, mais ignorant la dimension historique). On pourrait s'arrêter sur "néo-humanisme", qui présente l'avantage de mettre en évidence le sens chronologique de la notion, et autorise une révision de l'extension de son périmètre. Mais on préférera finalement le néologisme "homanisme", suffisamment proche d'"humanisme" pour signaler la parenté des concepts, et rappelant au passage le point central de la doctrine: la fidélité au genre "Homo". L'homanisme entendu en ce sens se définirait essentiellement comme ce qui reste ou ce qui peut être sauvé, voire restauré, de l'humanisme à la lumière des expériences sociales des deux derniers siècles. Il reposerait principalement sur une baisse contrôlée (mais non un abandon complet) des prétentions et des espoirs placés par l'humain dans et pour l'humain, et/ou comme un retour à une forme de stoïcisme de l'ère de l'information (ce stoïcisme se définissant lui-même, conformément aux recommandations d'Epictète, par une attention portée par chacun exclusivement sur ce qu'il peut contrôler, soit principalement son propre comportement). Conscient des limites constitutives de l'homme, et en acceptant les conséquences logiques, il renouerait avec l'humanisme modeste et auto-centré de Montaigne, ou la tempérance ethno-pluraliste de Lévi-Strauss ou de De Benoist, en se gardant de tout suprémacisme anthropocentré, qu'il soit d'inspiration démagogique (Voltaire), théorique (Kant), économique (Marx) ou politique (Sartre). Il ne serait pas nécessairement hostile au dépassement de l'humanité par une forme de Singularité technologique, mais envisagerait plutôt une forme de coexistence pacifique avec elle quand elle se présentera (au même titre d'ailleurs qu'avec les autres espèces vivantes, conformément aux souhaits des anti-spéciécistes [de 28:11 à 30:00]), ce qui le distingue de la voie survivaliste, qui n'envisage la poursuite, ou plutôt la reprise de l'entreprise humaniste que comme posture de combat (en particulier illustrée par certains récits post-apocalyptiques comme Malevil, récits réactualisés par certaines préventions désormais affichées à l'encontre des risques de l'IA forte, par exemple à la suite d'Elon Musk). Il n'entrevoit nullement le contrôle ou la domination par l'homme de l'IA forte (ce qui constituerait de toute manière à la fois une faute logique et un voeu pieu) mais place un certain espoir dans les possibilités, par un dialogue à sa mesure, de tirer un certain bénéfice de son apparition, pour autant que ce bénéfice ne le dénaturerait pas (principe du conatus). Il considère de toute manière que cette option ne dépend pas de lui autrement que par la manifestation vis-à-vis de l'IA d'une simple attitude de bienveillance et de respect, et c'est donc sur ce plan stoïciste qu'il entend se préparer à l'éventualité singulariste. Bien moins radical que les options primitivistes par exemple proposées par John Zerzan (de toute manière désormais impossibles à mettre en oeuvre même si on les jugeait souhaitables), il s'illustre dans la fiction par le choix délibéré des Webster de rester sur Terre contre celui de la quasi-totalité de leurs semblables préférant opter pour le panthropisme Jovien, ou par la constitution d'une sorte de contre-culture minoritaire de l'effort et de l'éducation comme antidote à toute forme d'aliénation, qu'elle soit politique ou technique (thèmes communs de 1984 et Ravage, en passant par certains ouvrages insistant sur l'importance du livre et de la lecture comme facteurs de libération, par exemple le célèbre Fahrenheit 451 et le moins fameux mais tout aussi remarquable L'oiseau d'Amérique). Parmi les auteurs contemporains, Houellebecq est celui qui a le mieux su éviter les écueils d'un idéalisme humaniste (même inconsciemment) exagéré et ainsi pu envisager dans La possibilité d'une île l'hypothèse homaniste avec un réalisme dépourvu de toute naïveté, ce qui a eu pour effet de faire percevoir ses propositions en partie à tort comme nihilistes.

Et c'est donc sur une forme d'hommage indirect à Michel Houellebecq qu'il convient de conclure cette analyse, par la citation d'un passage essentiel d'un des ouvrages qui l'a le plus inspiré. Celui du choix qu'à la fin du Meilleur des Mondes le sauvage va devoir faire pour définir sa vie, entre l'option de la sécurité, du bien-être et du conformisme, et celui, plus archaïque, plus téméraire et moins justifiable, de la condition humaine dans tout ce qu'elle a d'indissociablement bon et mauvais; autrement dit le choix qui se présente également tous les jours à nous, et que nous devrons affronter avec lucidité et courage:

Mais je n'en veux pas, du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché.
— En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d'être malheureux.
— Eh bien, soit, dit le Sauvage d'un ton de défi, je réclame le droit d'être malheureux.
— Sans parler du droit de vieillir, de devenir laid et impotent ; du droit d'avoir la syphilis et le cancer ; du droit d'avoir trop peu à manger ; du droit d'avoir des poux; du droit de vivre dans l'appréhension constante de ce qui pourra se produire demain ; du droit d'attraper la typhoïde ; du droit d'être torturé par des douleurs indicibles de toutes sortes.
Il y eut un long silence.
— Je les réclame tous, dit enfin le Sauvage.
Mustapha Menier haussa les épaules.
— On vous les offre de grand coeur, dit-il.

(Aldous Huxley, Le meilleur des mondes)




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